Purple Rain, c’est l’une des ballades rock les plus démentielles de l’histoire ! Comme Walk This Way, c’est un tube majeur des années 80, qui a marqué des générations entières. On les entendait systématiquement sur les mêmes pistes de danse. Walk This Way : tout le monde se déchaînait et sautait dans tous les sens.
Purple Rain : c’est le quart d’heure des slows, personne ne pouvait résister à cet autre déchaînement, plus mystérieux, à la fois animal et spirituel, sensuel, « rageur et mystique » comme je l’écris dans le roman. C’était le morceau parfait pour accompagner cette « reconnexion » entre Arnaud et Maud, son épouse, dans leur chair et dans leur âme, lors de cette soirée où ils renouent implicitement leur amour, qui est vraiment l’amour d’une vie.
Parce que Purple Rain, c’est un vrai « mystère », au sens mystique du terme. Comme les poèmes de Rûmî, c’est une expression pure du mystère de l’amour, le mystère de cette union des corps qui est toujours aussi une union et une élévation des âmes. Le mystère de l’amour charnel, c’est qu’il recèle en lui une part de cet amour mystique, divin ou pas, mais cosmique, primordial.
La ballade de Prince, sur l’album, dure environ 8 minutes, et on trouve sur YouTube des versions live qui s’étirent sur près de 20 minutes – il y a la portion « carrée », les couplets et les refrains, que tout le monde connaît, qui passait en boucle à la radio et qui est déjà incroyable de puissance. Et puis il y a la deuxième partie du morceau, les solos qui s’étendent à l’infini et la voix de Prince, comme en transe, qui semble venir se déchirer sur les rives de la galaxie, ou de l’Amour Éternel. Et voilà comment un morceau si simple en apparence, quatre ou cinq accords à peine, nous révèle quelque chose de fondamental et d’universel de l’expérience humaine, de l’amour, charnel et spirituel.
C’est un morceau qui transpire le sexe à chaque seconde et qui en même temps nous rapproche de quelque chose de « divin », en tout cas de ce qu’il y a de plus élevé en nous. J’ai passé des heures quand j’étais adolescent à m’user les tympans en l’écoutant à fond dans ma chambre, sans jamais vraiment comprendre le sens des mots « purple rain », ni le reste des paroles. Mais c’est la beauté du mystère, ce qui le rend si puissant.
Prince lui-même était un mystère : ce type d’1m60 à peine, ultrasexué et totalement dégenré, qui emportait tout sur son passage, et qui était capable de produire des tubes aussi universellement irrésistibles – comme pour Chopin, on est forcé de se demander : qu’est-ce qui le traverse quand il écrit ça, à quelle dimension cosmique son esprit et son corps se connectent–ils ?
Aujourd’hui, on souffre de ce syndrome de l’hyper-connaissance – on veut tout savoir, tout connaître, tout comprendre. En trois clics on peut tout savoir sur un artiste et sur ses chansons : ce que veulent dire les paroles, les références cachées, les inspirations. À cette époque-là, on prenait des morceaux comme celui-ci comme des diamants bruts, d’autant plus fascinants qu’on ne les comprenait jamais totalement, qu’ils conservaient leur part de mystère. Et c’est là encore que l’on rejoint Rûmî : l’opposition entre l’intelligence et la sagesse.