Le Piano Steinway B-211

Le Steinway B-211 est le piano de référence, la Rolls des pianos que l’on retrouve dans quasiment toutes les salles de concert. Pour la plupart des gens, c’est « le piano parfait » qui allie puissance (adaptée à des salles de concert de plus en plus grandes depuis l’après-guerre) et précision, et ce, quel que soit le registre. B, c’est le modèle de la gamme, et 211, parce qu’il fait 2m11 de long.

Il est surtout synonyme de fiabilité absolue, une cohérence et une homogénéité qui sont essentielles quand on sait que les pianistes concertistes ne voyagent bien évidemment pas avec leur instrument. Avec un Steinway dans toutes les salles, ils ont la garantie de jouer sur un piano dont ils maîtrisent le comportement, sans mauvaise surprise, sans avoir besoin d’une phase d’adaptation.

L’histoire de Steinway est une formidable success story qui débute à New York en 1853, quand Heinrich Steinweg, émigré autrichien, fonde sa société. L’homme qui fabriqua son premier prototype dans sa cuisine du massif de Harz en Autriche en 1838 multiplie par la suite les innovations. Il finit par imposer son standard de perfection sonore sur lequel ont joué et composé les plus grands artistes. Il instaure par exemple la fabrication du « chevalet de table d’harmonie en un seul morceau » et inaugure le Steinway Hall à New York en 1866 : une salle de concert de 2 000 places, résidence du New York Philharmonic Orchestra, qui permet de mettre en valeur la qualité sonore exceptionnelle des pianos de la firme. 

Ma mère, qui a tout le temps joué du piano et m’a transmis l’amour de la musique quand j’étais enfant, jouait quant à elle sur un Pleyel – le piano préféré de Chopin auquel la marque est irrémédiablement associée. Certains puristes déplorent la domination des Steinway, qui peut sonner comme une homogénéisation, au détriment des Pleyel, auxquels ils trouvent un son plus chatoyant, plus charnel aussi, plus chaleureux – moins lisse, vont-ils jusqu’à dire. Un medium chantant, des aigus lumineux, des couleurs et des timbres plus variés, des « demi-teintes » et des « fondus »… Pour ou contre, le débat n’est pas tranché ! 

Quoi qu’il en soit, pour moi, dans un cas comme dans l’autre, le piano, en tant qu’instrument, est une pure merveille de l’esprit humain, qui joue un rôle clé dans mon éveil spirituel. Une pure merveille, parce que c’est un objet de haute précision, à la fois très mathématique et très sensoriel, très mécanique et très organique – c’est quelque chose qu’on ne connaîtra bientôt plus avec l’électronisation de tout.

Ici, la musique est créée par la rencontre du bois (Pleyel utilisait des épicéas bien spécifiques) et du métal, du savoir le plus technique (la physique acoustique) et le plus instinctif et charnel – la douceur, la clarté et la texture de chaque note. Cela raconte quelque chose de la connexion entre le monde des idées (l’inspiration du compositeur, l’émotion de l’auditeur) et le monde physique, naturel (les arbres dont le bois est tiré, les mains du pianiste), et tout l’éventail des sensations entre les deux. Mais surtout, il y a quelque chose dans cette sonorité très liquide qui me connecte autant à mon moi le plus profond qu’au reste de l’humanité – cette émotion qu’elle éveille en moi, qui m’est propre, mais dont je sais que d’autres la ressentent. Je me laisse porter sur ses vagues, et j’accède à quelque chose de fondamental en moi, à la fois très intime et universel.

Quand j’étais enfant et que j’écoutais ma mère jouer, je ressentais cela, sans le comprendre ni le formuler bien sûr. Avec le recul, je pense que c’est de là que vient mon engagement sur le chemin de la spiritualité.