Le Pianiste est un film bouleversant, un chef d’œuvre universel qui provoque des émotions très intenses. Si je dis universel, c’est qu’il me semble que nul ne peut être insensible à l’histoire vraie de ce pianiste, Waldek Szpilman, un homme d’une douceur et d’une sensibilité rares, qui survit à une des périodes les plus atroces de l’histoire, par, pour et grâce à son amour de la musique. C’est le test ultime pour Arnaud, qui est un homme « verrouillé » de l’intérieur. En lui montrant ce film, Sophia espère faire sauter ses digues intérieures et l’aider à se reconnecter avec ses émotions.
Dans le roman, le film de Polanski s’inscrit en cohérence avec tout le reste : Waldek Szpilman est polonais, comme la mère de Sophia, il est pianiste comme elle – et le piano joue un rôle clé dans ce roman. C’est aussi, tout simplement, un film incroyable que j’encourage à regarder. Il a reçu la Palme d’or à Cannes en 2002, et obtenu sept César et trois Oscars. À la fois beau et tragique, il est d’une rare violence : il montre sans ménagement l’horreur du ghetto, avec des scènes parfois à la limite du soutenable. C’est un « devoir de mémoire » de la part de Polanski (lui-même survivant du ghetto), mais c’est aussi nécessaire d’un point de vue narratif : pour mieux comprendre la force de son amour de la musique, envers et contre tout, il faut montrer l’horreur absolue que subit Waldek, alors qu’il était pianiste officiel de la radio de Varsovie, il faut le voir perdre petit à petit tout ce qui le fonde (ses droits, son confort, sa famille décimée dans les camps), jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus rien d’autre que sa dignité. Il est « au bout de sa life » comme dirait mon ado, et pourtant, ce qui le fait tenir, c’est l’amour de son art… Et il continue à jouer malgré tout, sous les décombres, c’est ce qui le perd mais c’est aussi ce qui le sauve. Je trouve très belle cette idée d’aller au bout de son art et d’y puiser la force de survivre, c’est très inspirant.
Et il y autre chose encore : cette scène où un officier nazi le surprend en train de jouer du Chopin dans ce bâtiment en ruine – c’est d’une émotion folle. On voit sur le visage de l’Allemand toute la puissance de l’émotion de la musique de Chopin, cette force qui abolit les frontières, toutes les différences de classe ou de couleur de peau ou de religion. Une émotion intime et universelle, qui nous relie tous à quelque chose de plus grand que nous, qui est une des idées de la méditation de présence attentive.
C’est pour tout cela que le film s’est imposé comme une évidence dans l’histoire entre Sophia et Arnaud, comme le détonateur qui le lance sur son chemin d’épanouissement. Elle lui donne rendez-vous au cinéma La Pagode, à Paris, avec cet objectif de l’ouvrir à lui-même, le réconcilier avec cette part en lui qu’il a si longtemps étouffée. S’il peut être ému à ce point par ce film, pourquoi ne pourrait-il pas apprendre à exprimer ses émotions également dans sa vie d’homme, de chef d’entreprise et de père de famille ? C’est vraiment son torture test. D’abord Norma de Bellini, puis Le Pianiste. Sophia y va fort, et ça fonctionne !