Elle apparaît trois fois dans le roman, et notamment dans la « lettre de gratitude » qu’Arnaud, le héros (je crois qu’on peut l’appeler « héros », dans le sens où le roman raconte son cheminement vers la lumière), écrit à sa mère.
Et de fait, la Salle Pleyel est intimement liée à ma mère, et à cet amour de la musique, cette sensibilité exacerbée qu’elle a su éveiller en moi. Dans la maison familiale, je me revois, enfant, rêvassant dans le salon lors de longues après-midi ensoleillées, ou dans ma chambre à faire mes devoirs, tandis qu’elle jouait, des études de Chopin ou Debussy, sur son quart-de-queue Pleyel.
La musique me portait loin, très loin, et éveillait en moi des émotions nouvelles, bouleversantes, que les mots ne peuvent contenir – à la fois très personnelles et universelles. Plus tard, c’est Maman qui m’a amené la première fois à la Salle Pleyel, pour un concerto de Rachmaninov. J’étais complètement bouleversé. Je n’osais pas lui prendre la main, mais je savais que la musique nous unissait, que nous étions portés par la même émotion. C’est devenu par la suite un rendez-vous régulier.
C’est une salle finalement assez discrète, à l’architecture Art Déco, à l’acoustique parfaite et longtemps dédiée au piano – elle porte le nom de la fameuse manufacture Pleyel. C’est une salle qui laisse toute sa place à l’émotion unique que procure le piano – quelque chose d’à la fois très organique et totalement immatériel, qui est de l’ordre autant de l’évidence que du mystère. L’évidence d’une émotion universelle que tout le monde peut ressentir, et le mystère qui préside à sa création : « De quoi est fait celui qui crée une œuvre si belle ? », demandait régulièrement ma mère en écoutant ces chefs-d’œuvre.
Qu’est-ce que je donnerais pour me retrouver dans le cerveau d’un Wolfgang Amadeus Mozart ou d’un Chopin au moment où ils créent : Par quoi sont-ils traversés ? Qui leur souffle cette pureté presque mathématique et totalement sensuelle, sensorielle, qui a la puissance de faire monter les larmes au plus endurci des hommes ?
© Photo : Andreas Praefcke