Casta Diva par Maria Callas (Norma de Bellini)

Casta Diva, c’est l’uppercut émotionnel à la fois le plus doux et le plus puissant que je connaisse. C’est un aria de 1831 composé par Bellini, le premier air de l’acte 1 de son opéra Norma, l’un des plus célèbres au monde. Ses notes sont immédiatement reconnaissables, même à qui n’a jamais mis les pieds à l’opéra. Et le génie de ce morceau, c’est que même si l’on n’en comprend pas les paroles ou le livret, et même si l’on ne sait rien de l’histoire – tragique – qu’il raconte, on ne peut qu’être ému à son écoute. Quand on en connaît l’histoire, c’est encore plus émouvant. 

À l’époque des guerres gallo-romaines, Norma est une grande prêtresse druide. Elle est secrètement amoureuse du proconsul romain Pollione, avec qui elle a eu deux enfants illégitimes. Elle tente d’empêcher la guerre par cette prière pacifiste à la divinité de la lune argentée, lui offrant une branche de gui sacré : « Oh, pure déesse argentant, ces arbres sacrés ! Donnez-nous un beau visage, sans nuages et sans voile !, Tempérez les cœurs ardents, et le zèle audacieux, Répandez sur la terre cette paix que vous faites régner au ciel ! » Plus tard, Pollione tombe amoureux de la jeune prêtresse Adalgisa et rejette Norma et ses enfants. Norma se dénonce alors en avouant son crime d’amour et de trahison, condamnant son amant dans le même aveu, et ils finissent tous les deux sur le bûcher. 

Tout est bouleversant dans cet air, y compris sa simplicité – ça me transcende et me fait vibrer à chaque fois, dans tout mon corps et tout mon cœur, et je peux à peine retenir mes larmes – comme Arnaud dans le roman, qui, en compagnie de Sophia, écoute l’interprétation de la Callas sur ses écouteurs, au cinéma La Pagode, où elle l’emmène voir Le Pianiste, le chef d’œuvre de Polanski.

Sa stratégie est simple : avec ces deux œuvres percutantes et accessibles, auxquelles nul ne saurait résister, elle espère aider Arnaud à enfin accéder à son être profond, à enfin écouter ses émotions réprimées. De fait, au bout d’une minute à peine, Arnaud est submergé par l’émotion de ce morceau à la fois si doux et si violent, les digues explosent et il fond en larmes. C’est pour lui le point de bascule de son cheminement intérieur. 

Comme la plupart des grandes œuvres de la musique classique, c’est ma mère qui m’a fait écouter Casta Diva la première fois, interprété par La Callas. Impossible de décrire l’émotion que je ressentis alors. Ce morceau restera pour toujours associé en moi au souvenir de ces moments magiques avec ma mère, cette sensibilité qu’elle a su me transmettre, et ces moments où j’entrapercevais qu’il y avait quelque chose, je ne savais pas quoi, quelque chose en nous qui, si on y accédait, pouvait nous approcher d’une forme de félicité, de bonheur et de sérénité… qui est ce vers quoi tend la méditation en présence attentive.

J’ai des souvenirs merveilleux à écouter ce morceau – certains soirs d’été par exemple, sur la terrasse de notre maison de Grimaud… la nuit tombe, la nature est parcourue d’un frisson et nous de même, et il n’y a plus rien d’autre à faire que se laisser porter, faire silence, et se laisser bercer et percuter par l’évidence.